Blabla - la mort dans la littérature jeunesse et jeune adulte



Un postulat assez commun suggère que les romans pour les jeunes adultes (Young Adult) et la jeunesse ne montrent pas « en page » la mort. Elle se déroule souvent hors récit, est suggérée, mais n’est pas montrée. À l’instar de la mère de Bambi qui décède tuée par les chasseurs sans qu’on ne voit jamais cette mort dans le film (PARDON DU SPOILER), le sujet est occulté pour protéger les jeunes. 

Mais est-ce vraiment la vérité ? 

Pour développer mes propos, j’ai décidé de vous interroger sur les réseaux sociaux. De mes lectures et de vos apports, j’ai donc élaboré cet article sur comment et pourquoi est traité la mort, comment s'est-elle transformée au cours des dernières années dans nos récits et comment elle affecte les lecteurs. 

WARNING : spoilers de fin de livres, sujets sensibles comme le suicide, la maladie, la mort. 

I. Jeunesse et mort : choquer pour sensibiliser

La mort n’est pas totalement un item ovni dans le genre littéraire jeunesse et jeune adulte et on peut retrouver cette thématique dans la littérature classique américaine des années 50/60. Je pense bien sûr à Sa Majesté des Mouches de William Golding (1954) et Outsiders de S. E. Hinton (1967). 

Sa Majesté des Mouches a sans nul doute inspiré de nombreux auteurices modernes dans le traitement de la jeunesse et de la mort. Le Labyrinthe de James Dashner est clairement inspiré par ce classique qui dépeint un groupe d’enfants presque adolescents. Après un accident d’avion qui a causé la mort de tous les adultes, un groupe d’enfants issus de la bourgeoisie britannique doit survivre sur une île déserte. 

Outre la critique sociale et sociétale évidente dans Sa Majesté des Mouches (les enfants tentent de reproduire la société dans laquelle ils ont grandis et dans laquelle ils connaissent les codes avec les rudiments d’un contrat social et de la religion chrétienne), l’oeuvre illustre la violence implacable dont peuvent faire preuve les enfants entre eux. Livrés à eux-mêmes, ils retournent à un état quasi sauvage, avec une confrontation entre deux groupes rivaux qui tentent de se détruire mutuellement pour leur survie. 

C’est sûrement ce qui a du aussi inspirer l’actrice S. E. Hinton dans son oeuvre Outsiders, surtout connu pour son adaptation en 1983 par Francis Ford Coppola (son meilleur film, me mentionnez pas). Dans ce roman, deux groupes d’adolescents rivaux aux origines sociales différentes (les Greasers et les Socs). Le personnage le plus vieux est Darry Curtis, âgé de 20 ans. La violence de rue qui mènent à la mort. 

Comparer ces deux oeuvres me permet de faire un rapprochement évident sur le traitement de la mort et de la jeunesse : oui les enfants et les adolescents peuvent mourir, oui ils ont les mêmes vices que les adultes. La nuance étant que, contrairement à la mort de personnages adultes ou vieux, la mort d’un jeune choque, et est percutante. Elle a beaucoup plus tendance à nous faire nous interroger sur la vie, nos choix, nos objectifs, et notre moralité. C’est tout le sens final de Roméo et Juliette, mais bon Shakespeare n’écrivait pas du YA et c’est pas mon propos.

Pourquoi donc faire mourir la jeunesse ? Si l’on considère que la littérature a un double objectif d’apprentissage et d’évasion, comment montrer, justifier, et être pédagogue sur la mort ? Suivant les genres littéraires, on constate que les objectifs et les raisons de la mise à mort de personnages sont totalement différents. Depuis les années 50, les modèles et la façon de décrire la violence et la mort n'a pas vraiment changé. Ces deux romans ont ouverts grandes les portes de la démocratisation du traitement de la mort au sein des groupes de jeunes ou des adultes envers les jeunes. De l'évolution de la littérature jeunesse et YA s'est créée une morphologisation continuelle du sujet de la mort. 

II. Devenir un héros face à la mort : les familles dans les réfrigérateurs


J’ai parlé de Bambi, mais évidemment, la mort la plus horrible de notre jeunesse est sans nulle doute Simba demandant à son père Mufasa de se réveiller alors qu’il est … mort. De cette horrible scène tragique sont née des traumatismes d’enfant certes, mais aussi des interrogations. Faut il que nos êtres proches meurent pour nous révéler en tant que figure héroïque ? 

Ce schéma shakespearien n’est pas né hier les enfants. Devenir Roi, devenir héros, devenir ce que le destin ou notre héritage attend de nous se fait par une construction qui nécessite dans 90% des cas la mort d’un personnage proche. 

Reprenant la théorie de « la femme dans le frigo » (ou Women in Refrigerators) créée à la fin des années 90 par un groupe de féministes (mené par Gail Simone) dans le fandom des comic-books, j’ai décidé de m’approprier ce terme et de l’étendre à la sphère familiale pour le Young Adult. 

Faisons d’abord un petit tour d’horizon sur ce que sont les femmes dans le frigo : ce sont des personnages féminins, qui sont blessées, violées, tuées ou privées de leurs capacités (supernaturelles ou non d’ailleurs, ça peut être physique) afin de révéler une colère et une motivation chez leur contre-partie masculine (mari, petit ami, frère, père, fils, etc.) pour que ces derniers deviennent des super-héros. La liste complète de ces femme est disponible sur le site internet de Women In Refrigerators.

Revenons à nos moutons. Vous allez me dire « mais api pourquoi tu veux mettre des FAMILLES dans des congélos ? ». Eh bien j’y viens chers amis. Voyez vous, à travers mes nombreuses lectures Young Adult, et surtout dans le genre Dystopie que j’affectionne très particulièrement, j’ai remarqué qu’on avait une tendance à tuer des familles (au sens nucléaire du terme) de personnages afin que ces derniers endossent totalement leur rôle de grand sauveur de l’humanité. 

Beaucoup d’entre vous m’ont parlé de Primrose Everdeen, la soeur cadette de Katniss Everdeen, qui n’échappe pas à cette règle. Pendant les premiers tomes (ou films) de la saga à succès Hunger Games, le personnage de Katniss se caractérise par le fait qu’elle refuse d’endosser son rôle d’icône de rébellion, le Geai Moqueur. La mort de sa soeur, violente, gratuite, inattendue, va la pousser à devenir cette héroïne (même si elle ne sera pas d’une grande utilité dans la bataille finale, c’est le symbole qu’elle porte qui importe le plus pour soulever la population). 

Parmi les autres familles qui ont été surgelée pour révéler des personnages, je pense aux parents de Tris Prior dans Divergent (Veronica Roth), le frère aîné de June Iparis dans la trilogie Legend (Marie Lu), et j’en passe. 

A quoi donc cela sert-il ? Regardez bien la personnalité d’un personnage confronté directement par la mort d’un des membres de sa famille. Il se métamorphose. Il ne devient d’ailleurs plus vraiment un personnage, mais une entité allégorique totalement dénué de personnalité, d’histoire, ou de nom pour devenir véritablement une icône révolutionnaire. Ce personnage n’a pas tant besoin d’être une « personne » pour les autres, il doit être un leader pour destituer un régime en place. 

Que doit on donc penser de cela ? Est ce que notre famille nous retient d’embraser véritablement notre destin ? Peut on réellement redevenir qui nous sommes après avoir été destitué de tout ce qui nous rend « nous » ? C’est un peu ce que Suzanne Collins essaye d’exploiter à la fin de Hunger Games avec son héroïne Katniss, pourtant, il me semble que paradoxalement pour achever le cercle complet du raisonnement du symbole révolutionnaire il faut … mourir. 


III. Comment bien faire mourir son personnage principal ? 

Oh quel sujet tendu … Faire mourir son ou un de ses personnages principaux est très souvent un pari risqué pour les auteurices qui se sont souvent pris des retours de bâton très violents de la part de leurs fans qui - globalement - ont une préférence pour les happy endings. Mais comme je l’explique au dessus, cela devrait être une coutume, surtout dans les romans dystopiques où l’on devient un guide de la révolution. Pour que la révolution cesse et devienne pérenne dans un système, son déclencheur doit mourir (oui j’ai beaucoup lu V Pour Vendetta de Alan Moore). 

Celle qui incarne le mieux cette colère des fans qui « DÉTESTENT QU’ON TUE LES HÉROS » est Veronica Roth, autrice de la trilogie Divergent qui, en tuant son personnage principal de Tris Prior à la fin du troisième tome déchaîna autrefois les passions. Globalement, les quelques personnes qui sont venues me parler de Tris étaient très satisfaites de la voir mourir. 

Pauline « Perso j’ai trouvé ça original et finalement ça concluait bien la trilogie ! »

Clémentine « (…) même si c’est trop triste, j’ai bien aimé que l’auteure ose ça »

Robin « Autant j’ai trouvé la série très faible à partir du second bouquin, autant la mort de Tris est exceptionnelle. J’ai trouvé ça tellement audacieux de la part de Roth de tuer son personnage principal; surtout en YA. Elle s’est ramassée un backlash énorme de la part des gens et ça m’a toujours emmerdé parce que, merde, au moins ça change des fins aseptisées et prévisibles à 1000 km » 

Sur ce dernier point, Robin n’a pas tord. S’il est de tradition de ne pas forcément offrir de happy ending aux personnages principaux, il est toutefois de rigueur de le laisser en vie. La mort spectaculaire de Tris qui se sacrifie pour faire exploser une bombe et mettre fin au régime politique en place dépasse tout simplement ce qu’est censée être la mort pour un héros de roman : ce n’est pas la fin d’une vie, c’est le sacrifice qui permet de sauver le monde. 

Faire mourir un personnage principal n’a pas toujours la même signification positive. C’est parfois juste une horrible façon sombre et triste de terminer un roman. Et nombreuses personnes sont venues me parler de la fin de Narnia …

Si vous avez lu La Dernière Bataille de C.S. Lewis, dernier tome de la saga littéraire Narnia, publié en 1956, vous savez où je veux en venir. 

Comme je l’ai dit précédemment, la jeune Susan qui ne croit plus en Narnia (c’est devenue une femme, et sans revenir sur la misogynie latente du livre, elle est donc épargnée) mais ses frères et soeur, cousins, et amis se rendent donc une ultime fois à Narnia pour des aventures épiques. Le Roi (Lion) Aslan leur avoue à la fin qu’il existe en réalité Narnia et qu’il est temps de rejoindre le « vrai » Narnia. Il s’agit en réalité d’un pays de tous les morts et défunts car SURPRISE, tous les enfants Pevensie sont en réalité décédé à cause d’un crash de train dans leur vraie monde anglais. Beaucoup de mâchoires ont du se décrocher et de larmes ont du être versées pour cette fin cruelle, gratuite, et pourtant en écho avec la douloureuse réalité de la guerre que C.S. Lewis a connu. Elle offre une alternative douce à tous les enfants qui périssent, en leur proposant un monde magique, une vie après la mort apaisée, heureuse et belle (n’oublions pas que C. S. Lewis était SACRÉMENT chrétien). 

Faire mourir son personnage principal est donc une pirouette très difficile, et rare sont les auteurices qui s’y sont frotté.es. L’un des plus audacieux récemment est sans doute Adam Silvera qui, dans son roman Et Ils Meurent Tous les Deux à la Fin, nous annonce dès le titre que, oui, ses deux personnages principaux vont mourir à la fin. Il échappe donc aux reproches et aux critiques de ses lecteurs en disclaimant ses intentions directement en première couverture, et réussit même à nous faire douter de ses intentions durant le roman. Qui n’a pas lu ce livre en se disant « nan mais en vrai ils vont survivre c’est bon ». LOL comme dirait l’autre. Qu’on est naïf. 

Et si l'univers en lui-même était tout simplement hostile ? Certaines morts sont facilités, légitimés et parfois gratuites car l'auteurice nous plonge dans un contexte dangereux et belliqueux. Pourtant, il faut se rappeler qu'on ne s'adresse pas à des adultes ; faire mourir un personnage doit avoir une importance et une signification même si cela se passe sur le dos d'une licorne ou entre les griffes d'un dragon. Mais tout le monde respecte-t-il vraiment cette règle tacite ? 

IV. Fantasy et fantastique : mort banale ou symbolique ?

Quand je vous ai interrogé sur les morts dans la littérature Young Adult, 80% des réponses ont porté sur de la littérature jeunesse. J’ai donc décidé d’élargir cet article et d’inclure l’univers plus jeunesse pour parler notamment pour la Croisée des Mondes et Harry Potter, deux sagas littéraires qui ont forgé le destin littéraire de nombreux lecteurs. 

Comme je n’ai pas lu la Croisée des Mondes (J’AI ESSAYÉ J’Y ARRIVE PAS EUKÉ), j’ai eu beaucoup d’échos sur des scènes relativement graphiques et traumatisantes. Les aventures d’enfants (et on entend par là des petites personnes entre 7 et 14 ans) nous emmènent dans des aventures souvent sombres et ils doivent, bien évidemment, à un moment donné, croiser la mort. Dans la fantasy et le fantastique, les enfants sont très tôt confrontés à la mort. Les univers mystique et mythique seraient donc de parfait alibi pour parler de la mort aux jeunes lecteurs ? Rare sont les livres jeunesse contemporains qui osent parler frontalement de la mort aux enfants. En général, parler des problématiques graves de la vraie vie se fait par le prisme de sujets plus légers et imaginaires. Par exemple, je vais parler de l’exclusion et du racisme en opposant une race de troll à une race de gobelin. C’est pareil pour la mort. 

Harry Potter - car globalement tout le monde a lu ou vu Harry Potter chez les Millenials et la Génération X - a progressivement distillé la question de la mort. C’est dès le quatrième tome, avec la mort de Cédric Diggory, que Harry est pour la première fois confronter PHYSIQUEMENT à la mort. Bien qu’il soit orphelin, jamais le brave petit Harry n’a vu de visu la mort. Il a alors 14 ans. En vieillissant, il sera ensuite confronté à toutes les morts que nous connaissons et que vous m’avez tous rapporté dans vos messages. 

Clara m’a envoyé ce tableau édifiant donc je n’ai pas la source et je m’en excuse et qui nous permet de comprendre plus précisément l’impact de la mort pour Harry (mille excuses je n'ai pas la source, n'hésitez pas à me la communiquer si vous l'avez). 



Même si je trouve que certaines morts ont peut être une signification plus importante que ce que JK Rowling voulait réellement faire (notamment Mad Eye ou Colin Creevey), la plus frappante reste Hedwige, qui a été beaucoup cité dans les réponses apportées. Perdre son animal de compagnie, son compagnon et seul ami de l’enfance (qu’on retrouve aussi avec le Daemon dans à la Croisée des Mondes) semble être un véritable traumatisme pour les enfants que nous sommes. Pourquoi ? Pourquoi la mort d’un animal de compagnie nous heurte plus violemment que celle d’adultes ou d’enfants ? Ces animaux incarnent la jeunesse, l’innocence, la douceur, l’absence total de mal et de méchanceté et leur mort signifie donc la fin définitive de cette jeunesse, exposant ainsi le/la héros.ïne à la dure réalité de la violence, de la cruauté, de la dualité du bien et du mal. Et exposant surtout le héros.ïne à l’adolescence. 

L’adolescence est une période difficile, probablement la pire épreuve d’une vie. Elle est d’autant plus cruelle qu’elle est souvent figurative d’une perte dans les livres jeunesses. Dans Narnia, c’est carrément l’interdiction de revenir au pays (Susan par exemple qui, après sa puberté, ne peut revenir au royaume), ou pour Harry Potter c’est notamment la levée du sort de protection. On se retrouve donc désemparé, livré à soit dans un monde hostile loin des joies et bonheur furtif du monde imaginaire dans lequel on évolue. C’est aussi pour cela que découvrir Harry Potter a été une épreuve douloureuse, notamment avec la perte de personnages figurant comme figure paternelle pour le personnage comme Sirius Black, Remus Lupin ou Albus Dumbledore avant de découvrir dans le tome suivant que c’était en fait une sous merde manipulateur. BREF. 

Sous couvert de magie et de pays enchanté, le fantastique et la fantasy sont des moyens courant pour exposer les enfants à la mort. La fantasy qui emploie notamment les codes médiévaux n’a pas peur de sacrifier quelques bambins et familles sous prétexte que - toute façon - à cette époque reculée, la mort pouvait arriver de toute part. La maladie, la guerre, les trolls, les malédictions, … la mort guette à chaque recoin de rue ou de forêts. Banaliser la violence et la mort dans ce genre d’univers, permet de préparer le lecteur à un terrain hostile. Et souvent, eh bien les compagnons de routes du héros décèdent. 

Oui mais si l'on enlève tout ces accessoires ? Si on revient à une réalité plus présente et plus pesante ? Que nous reste-t-il comme cause de mort ? La guerre ? La maladie ? La violence d'Etat ? Le terrorisme ? Les accidents de la route ? Est-on réellement équipé émotionnellement pour affronter la mort dans la vie de tous les jours ? C'est la leçon que va essayer de nous apporter le style contemporain.  

V. La mort dans le genre Contemporain : les leçons du deuil

Sara « Les morts choquantes sont celles qui m'ont le plus marquées quand j'étais jeune comme celles qu'on peut voir dans Hunger Games, Divergente, The Maze Runner (et j'en passe). Mais je dois dire que celle qui m'a le plus touchée réellement c'est dans Nos étoiles contraires. En fait, plus la mort est proche de notre réalité, plus elle me touche » 

Une fois qu’on enlève l’artifice d’une société totalitaire, d’un univers imaginaire dystopique, d’une forêt enchantée, de sorciers, d’animaux qui parlent, de magie, la mort dans le genre contemporain a un sens bien différent. Sara n’est pas la seule à m’avoir cité Nos Etoiles Contraires (The Fault is in our Stars) de John Green qui dépeint la maladie, la mort quand cette dernière est incurable. Pire encore que de dépeindre des adultes qui décèdent, la maladie chez les enfants et adolescents est difficile, injuste et touchante. 

Si la mort n’est pas toujours montrée graphiquement dans les romans contemporains, elle est très  souvent utilisée pour parler du deuil, de comment surmonter toutes les épreuves de colère, de dénis, de tristesse. 

Si vous n’avez pas peur de démonter votre stocks de mouchoirs, vous pouvez lire et/ou voir A Monster Call (Quelques Minutes après Minuit) de Patrick Ness qui montre le difficile process du deuil pour un petit garçon qui vient de perdre la seule personne présente dans sa vie isolée : sa maman. Ce roman bouleversant et déchirant 

Elle permet aussi de dénoncer des problématiques sociales et sociétales comme dans The Hate U Give de Angie Thomas où le personnage de Starr assiste, impuissante, à l’assassinat de son ami d’enfance Khalil, tué par un policier. S’inscrivant dans le mouvement #BlackLivesMatter, ce roman nous plonge dans la réalité des violences policières face aux populations noires et le racisme d’état intégré par les dépositaires de l’ordre public. Ce n’est plus tant la mort de Khalil qui devient importante dans le roman, c’est un alibi pour dénoncer une problématique grave et répandue aux Etats-Unis. 

Rare sont donc les romans contemporains qui font mourir "gratuitement" leurs personnages. La mort prend vraiment le sens de la mort, et ne permet pas de révélation du personnage en héros, mais permet plutôt tout une réflexion sur comment survivre après la perte de l'être cher, qu'est ce que vivre réellement, etc. Ce sont souvent des textes difficiles, poignants, mais qui sont tout de même nécessaires pour comprendre la panel d'émotions que nous aurons ou avons affronter dans la vie. Ces romans ont plus une fonction "d'apprentissage" et ne cherche pas à magnifier ou donner une signification tiers à la disparition. Devenir "grand" (attention je n'ai pas dit adulte), c'est aussi comprendre que nous sommes confrontées à une réalité qui nous dépasse, et que la mort est injuste, qu'elle est aussi liée à un mécanisme de reproductions des inégalités et des violences (notamment pour les minorités raciales). 

Je n'ai évidemment pas parlé du genre thriller qui est bien évidemment un genre à part entier dans le traitement de la mort. Les morts (ou disparitions parce qu'en fait surprise à la fin il/elle était pas mort.e) sont les noeud d'une intrigue. On s'interroge pas tant sur la mort en elle-même mais pourquoi et comment la personne est morte. Les morts sont souvent violentes, et les victimes sont souvent des jeunes femmes (ça faisait longtemps hein ?) et sa meilleure amie/sa soeur s'occupe de mener l'enquête. Ca ne vous dit rien ? Pourtant, 60% des thrillers YA reprennent ce trope très récurrent de l'adolescent qui devient Sherlock Holmes pour faire le boulot que la police n'a pas pu faire à sa place (Meurtre mode d’emploi (à l’usage des jeunes filles) de Holly Jackson n'échappe d'ailleurs pas à cette règle à une nuance près sur le lien entre la victime et l'enquêtrice). 

Sauf que nous arrivons à une frontière très floue : et si la mort en elle-même était un protagoniste déterminant et même un personnage principal à l'intrigue ? Dans le genre thriller, le livre n'existerait pas sans un mort n'est-ce-pas ? La mort peut donc être déclencheuse ou participante active de l'intrigue d'un roman et c'est un mécanisme de plus en plus courant dans le YA. 


VI. La mort comme personnage principal

Trilogie très récente écrite par Neal Shusterman, La Faucheuse a été très souvent cité dans les réponses que ce soit sur twitter ou instagram. Etant moi même fan de ces deux romans (le troisième étant attendu pour la fin novembre), je me devais d’en parler. Comme son nom l’indique plutôt bien, le roman La Faucheuse va nous parler de la mort, mais sous un prisme très particulier. En effet, dans un futur lointain (coucou la dystopie is back), la mort a été vaincue, et les populations vivent ainsi pendant longtemps, trèèèès longtemps. Plus de maladies, plus d’accidents, les morts accidentelles sont rarissimes voire inexistantes. Afin d’équilibrer le nombre d’habitants (parce que cimer la surpopulation hein), un nouvel ordre est créé : les Faucheurs (ou Scythe en anglais). Tel des padawans, les jeunes élèves choisis vont suivre une formation auprès d’un Jedi instructeur qui va les former pour qu’ils deviennent ensuite Faucheur et tuent des gens. Comme nous sommes dans un roman Young Adult, les héros vont donc se mettre à tuer des gens alors qu’ils n’ont que … 17 ans. Outre le fait de donner des armes ou des moyens pour permettre à de très jeunes adultes de s’adonner légalement à la mise à mort, le livre nous interroge sur le sens même de la mort et de son pendant, la vie. Plusieurs courants de penser s’opposent au sein des Faucheurs : faut-il offrir une mort douce, accompagnée, faites de soins et d’au devoirs sincères, ou faut-il offrir une mort épic, violente, totalement inattendue qui surprend et impressionne ? Ce sont deux réflexions totalement opposées mais toutes les deux défendables. Si l’on peut choisir comment vivre notre vie (plutôt calme VS plutôt palpitante) pourquoi ne pourrions nous donc pas envisager le choix de notre mort ? Ce qui est aussi intéressant c’est que l’on met ainsi de coté toute l’idéologie et l’inspiration religieuse de notre culture. Dieu n'est plus le maître de la vie et de la mort, mais elle est ici remplacée par une espèce d'IA ultra développée qui guide les Faucheurs en relevant des données statistiques de qui doit mourir et quand. 
Par ailleurs, il est souvent d’usage quand on fait mourir un personnage important pour la structure du héros de lui donner une symbolique bien plus grande du style « écoute sa voix depuis l’au-delà » « il/elle t’accompagne dans tout ce que tu fais » « tu portes le flambeau de tous ceux qui ont péri ». Dans la Faucheuse, Neal Shusterman a déconstruit totalement ces présences de l’au-delà pour en revenir un postulat plus athéiste qui est « quand on est mort, on est mort, point ». 

Faire parler les morts (ou La Mort vous choisissez), est une coutume assez courante dans le YA quelque soit le genre (même si le schéma est surtout très utilisé dans le contemporain thriller). L’exemple le plus récent et parlant est probablement Thirteen Reasons Why de Jay Asher qui fait parler une personne décédée par des cassettes audios enregistrées avant son suicide. Je ne reviendrai pas sur l’étrange moralité de ce livre qui semble nous dire que pour se venger de harceler il faut les harceler et les pousser au suicide à leur tour, mais le livre illustre cet effet de mode assez récent dans le contemporain YA de faire enquêter les amis et proches des victimes en les faisant parler outre-tombe. Je pense également au roman poignant (et au film) The Lovely Bones de Alice Sebold. La personnage principale morte est la narratrice de l’histoire qui observe  depuis son propre « paradis » sa famille se débattre dans la tristesse et leur deuil tandis qu’elle accepte au fil des pages sa condition de morte. C’est un roman difficile, mais qui permet, en faisant parler le mort et non les vivants, d’accepter le deuil en se disant que finalement, ceux qui sont partis sont dans un espace de quiétude et continuent de nous observer. Dans le même schéma, le roman If I Stay de Gayle Foreman reprend tout à fait ces mêmes codes. 

Mais bien sûr, je ne pourrais pas parler de Mort comme personnage principal sans parler du roman La Voleuse de Livre de Markus Zusak. La Mort est ainsi la narratrice d’une histoire terrible, durant la Seconde Guerre Mondiale en Allemagne : tandis qu’elle observe la montée du nazisme et les prémisses de la guerre, elle va suivre la jeune voleuse de livre Liesel Meminger. Le roman se termine bien sûr par la rencontre entre les deux personnages, Liesel et la Mort, mais exceptionnellement je ne vous dirais pas si elle meurt petite, jeune, adulte, ou vieille. Il faudra lire le livre. 

« Jouer » avec la mort et ses codes est donc de plus en plus courant dans les romans jeunesse et YA. On ne peut pas vraiment dire que ce soit un sujet pris à la légère, et on peut retrouver un retour à la gravité de plus en plus juste et consciente eues égards la progressive montée de la violence dans nos sociétés et au sein des mouvements de contestation sociale (pitié me citez pas le Joker en comparaison, ce film dépeint avec totale maladresse la maladie mentale et survole très superficiellement les problématiques politiques, économiques et sociales des inégalités). Quoique nous lisons, quoique nous pensons, nous pouvons toujours - si l'on accepte - changer de position ou de point de vue sur un sujet. La mort est un sujet si effrayant et intangible, que nous passerons chaque seconde de notre vie à l'appréhender de divers façons. Je ne vous dis pas d'en avoir peur, je ne vous dis pas de ne pas en avoir peur. Que ce soit vos convictions personnelles, religieuses, athées, agnostiques, personne ne peut vous en vouloir de changer d'avis sur ce que représente pour vous la mort, tout comme personne ne peut vous dicter ce que vous pouvez ou non ressentir en lisant un roman qui traite de ce sujet. Peut être qu'une mort vous touchera particulièrement, peut être qu'une autre non, mais n'oubliez pas qu'il existe autant de sensibilités qu'il existe d'être humain sur cette petite planète. 


Conclusion 

A l'instar de films classiques de notre enfance (je pense à Disney bien sûr), la littérature jeunesse et Jeune Adulte n'a jamais cherché à dissimuler, cacher, ou mentir sur la mort. La représenter et la montrer à l'écran comme dans les livres sert deux véritables buts que sont banaliser la mort, l'expliquer, comme étant un élément constitutif de la vie et aussi utiliser des codes "originaux" pour que la mort devienne un déclencheur d'évènements à l'histoire. Il subsiste cependant de nombreux schémas classiques et inhérents au genre, notamment avec l'idée des familles au réfrigérateur. S'il existe dans l'univers dystopique, ce trope se retrouve aussi de plus en plus dans les univers fantastiques (les super héros arrivent dans la littérature get ready !) et fantasy. La mort a toujours été graphique et représentée dans les romans pour les plus jeunes et les moins jeunes. Dire qu'aujourd'hui les romans sont plus violents est à la fois faux et vrais. Ils le sont plus car - spoiler alert - il y en a plus ! Si vous lisez Outsiders, vous comprendrez que Hunger Games n'a nullement inventé la cruauté enfantine, mais elle l'a quantifié et diversifié. 

Le véritable problème aujourd'hui c'est comment montrer la mort, comment la justifier, comment la légitimer et comment ne pas la "glamouriser". Chaque roman qui comporte des scènes explicites de meurtres ou de suicide doit le mentionner et prévenir son lecteur. Chaque auteurice est responsable de ce qu'il montre et doit faire preuve de grande prudence quant au vécu et potentielles problématiques liées à la santé mentale des lecteurs. Il n'est pas question de délivrer des romans aseptisés (gnagna on peut plus rien diiire et écriiiire aujourd'hui), mais de prendre sa part de responsabilité dans l'avertissement. Chaque livre n'est pas à mettre entre toutes les mains car chacun a vécu ou vit actuellement une période difficile. Et on ne doit plus tuer n'importe qui aujourd'hui. Je ne veux plus lire de romans en 2019 (et bientôt 2020) où les minorités sont les premières victimes (minorités raciales, membres de la communauté LGBTQ+, etc.) si cela n'a pas d'impact ni d'intérêt à l'histoire (j'entends ici une vraie prise de position avec une dénonciation). 

Bref petit lecteur, si tu es arrivé au bout de cet article bah déjà bravo, j'espère que tu n'es pas dans un bain de camphre en écoutant Carmen sinon tu dois être présentement bien déprimé, et je te remercie de m'avoir lu.  

Merci à tous ceux qui m'ont bombardé de tweets et messages privés et qui ont permis la réalisation de cet article. 


Tous les livres référencés dans cet article :


Sa Majesté des Mouches - William Golding
Outliers - S. E. Hinton
Le Labyrinthe - James Dashner


The Hunger Games - Suzanne Collins
Divergent - Veronica Roth
Legend - Marie Lu


V For Vendetta - Alan Moore
La Dernière Bataille (Narnia #7) - C.S. Lewis
Et Ils Meurent Tous les Deux à la Fin - Adam Silvera


Saga Harry Potter - J. K. Rowling
Trilogie À la Croisée des Mondes - Philippe Pullman
Nos Etoiles Contraires - John Green


Quelques Minutes Après Minuit - Patrick Ness
The Hate U Give - Angie Thomas
Meurtre mode d'emploi (à l'usage des jeunes filles) - Holly Jackson


La Faucheuse - Neal Shusterman
Thirteen Reasons Why - Jay Asher
The Lovely Bones - Alice Sebold


La Voleuse de Livres - Markus Zusak
If I Stay - Gayle Forman






1 commentaire

  1. Un article vraiment très intéressant merciiiiii. Pour moi c'est clair que la mort en fantasy et la mort en contemporain n'a pas la même valeur. Il y a quand même une séparation entre nous et la fantasy, une distance, une magie qui permet aussi de faire passer pas mal de choses et de sujets difficiles. Tandis que les contemporains c'est nous, notre vie. Ça pourrait arriver ce soir ou demain. Ça nous confronte à notre fragilité et c'est ce qui les rend plus poignants je trouve...

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